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P. Veltz, Préface du livre Mondialisation, villes et territoires

 

 

Préface du livre Mondialisation, villes et territoires

La mondialisation n’est pas l’avènement d’un espace abstrait, sans distances, sans inscriptions locales autres que précaires et résiduelles. Elle n’est pas davantage la simple prolongation du système inter-national, l’extension des échanges au sein de la mosaïque des Etats-nations et des économies « nationales ». Les Etats restent des acteurs majeurs et ne sont pas près d’être marginalisés (du moins les grands Etats structurés, qui ne représentent qu’une petite minorité des Etats du monde). Mais ils doivent compter désormais avec des tissages tranversaux puissants : celui des firmes multinationales, qui déploient non seulement leur présence commerciale, mais leurs réseaux de conception-production, celui des diasporas, celui des médias, celui des organisations d’une société civile mondiale en émergence. Or ces tissages sont eux-mêmes indissociables de l’urbanisation accélérée du monde et d’un processus de polarisation sans précédent de l’économie mondiale autour des très grandes villes, reliées entre elles dans une « économie d’archipel » qui concentre une part énorme de la richesse, du savoir et du pouvoir dans le monde. Une géoéconomie en réseau se dessine ainsi, dans laquelle la distribution des activités est loin d’être structurée seulement par les niveaux nationaux des coûts du travail, mais dépend crucialement d’effets organisationnels et institutionnels qui échappent à la mesure économique traditionnelle. Telle est la thématique explorée dans ce livre, réédition refondue d’un ouvrage paru d’abord en 1996. A cette date, le thème de la mondialisation était à peine émergent et les livres consacrés à ce sujet en langue française étaient rares ! Depuis lors, la littérature a littéralement explosé, et la « mondialisation » est devenu un thème politique de première grandeur. Une reprise était donc nécessaire. Les données statistiques ont été actualisées. La montée de la Chine, principal événement de la décennie écoulée, est prise en compte. Les travaux récents de géographie économique ont été, dans la limite de mes connaissances, intégrés. Pour l’essentiel, les thèses du livre se sont révélées robustes. Même si, pour de multiples et souvent bonnes raisons, la grille inter-nationale demeure prédominante dans notre lecture du monde, il est difficile ne pas voir combien la belle ordonnance étagée et emboîtée des pouvoirs territoriaux et des économies correspondantes (économies « nationales » ou « régionales ») est déstabilisée par le foisonnement des relations horizontales qui se tissent entre les acteurs et les espaces. En Asie, les tensions sont d’ores et déjà perceptibles entre l’affirmation des Etats et celle des mégacités, à la croissance époustouflante. Quant aux métropoles de notre continent, si leur affirmation politique reste en général mesurée, elles n’en prennent pas moins conscience de leur puissance et rechignent parfois devant ce qu’elles considèrent comme des transferts excessifs vers les périphéries. Ce livre ne prétend nullement analyser ces mouvements géopolitiques dans toutes leurs dimensions. Son seul but est de décrire quelques-uns des fondements économiques qui sous-tendent cette réorganisation rampante de nos espaces politiques de référence. L’économie d’archipel ne renvoie nullement les Etats et les institutions inter-étatiques au rayon des vieilleries, mais elle change leur agenda, si la communauté mondiale veut éviter qu’aux portes du premier monde interconnecté se créent des friches immenses, sociales, économiques, écologiques, où s’installeraient durablement l’anomie et la frustration.

P.V. octobre 2004